lundi 5 décembre 2011

Pauvres

Ma mère parle peu de son enfance. Lorsque ça lui arrive, elle parle surtout de repas. Elle dit il n'y avait pas de légumes, pas de fruits, on mangeait surtout des pâtes. J'allais chez ma soeur plus vieille pour boire du lait de vache, on avait pas de lait de vache chez-nous. Elle dit du lait de vache et ça me fait rire. Je n'ose pas demander quel sorte de lait elle buvait dans sa maison. Elle trouve ça drôle, un peu comme je trouve drôle moi aussi d'avoir eu à porter les vêtements usés de mes soeurs. Personne n'en meurt. J'essaie de voir à quoi elle ressemblait cette réserve, ce village pauvre, habité par des gens pauvres, qui subsistaient à grandes poches de patates et de farine.

Puis j'entends parler d'une réserve, dans le nord de l'Ontario, la belle et riche province, l'Ontario. Ces échos de pauvreté in-crédible jusque dans nos téléjournaux locaux québécois. Attawapiskat, un village que je ne connaissais pas avant de voir la photo de presse d'une cabane construite moitié en toile, moitié en planches. On n'y croit pas. Encore de ces exceptions généralisées. On voit les vieux et les enfants, les parents inquiets et les cabanes qui se multiplient. C'est un village tout entier. Ce sont des membres des Premières Nations, des Canadiens. C'est la minorité invisible. Ceux qui habitent des parcelles de territoire réservées. Attawapiskat, fondé en 1950. Près de deux milles habitants. À quel moment ces gens ont-ils choisi d'être pauvres? Car si on peut créer la richesse, on peut également créer la pauvreté.

Je déteste le mot "réserve", comme je déteste l'idéologie que renferme ce mot. Je suis outrée par la péjoration, par le racisme et le cloisonnement de ce mot. Mais je l'utiliserai. Je continuerai à parler des réserves tant qu'elles existeront, tant que la loi canadienne et les normes sociales resteront les mêmes. Toutefois, je ne suis pas désabusée, au rythme où vont les choses, dans le cri grandissant des premiers peuples, je sais qu'un jour elles changeront.

dimanche 4 décembre 2011

Le recul

Il m’arrive, devant autant d’encouragements et d’approbations et de félicitations, dus à mon livre, de me dire que je ne le mérite pas. J’en suis consciente, ma mère plus que moi. Les gens m’invitent pour que je puisse parler de mon livre à des classes, à des publics, et j’accepte sans savoir ce que je leur raconterai. À quel moment me suis-je forgé une opinion solide sur l’écriture, sur ma culture, sur mon propre livre? Elle m’est tombée dessus, cette notoriété ou appelez ça comme vous voulez. Le fait que ma parole soit écoutée. C’est presque incroyable. Je ne pense pas en avoir rêvé avant. Voulez savoir ce à quoi je rêvais, avant?

Je rêvais d’une maison, petite, bâtie exprès pour moi. Sur le bord de la mer, tout près de l’eau, la Côte-Nord qui longe le fleuve. Une maison en bois avec une galerie peinte en blanc. Derrière, la forêt épineuse. Enseigner aux jeunes de mon peuple. Leur dire tous les jours qu’ils sont les meilleurs. Leur apprendre le français et la fierté d’être soi. Apprendre d’eux le façonnement du savoir, l’éternelle mutation des idées. Leur souhaiter bonne route et recommencer, sans cesse. J’ai bien rêvé d’un livre à publier, quelque part entre les boires du matin et les devoirs à finir. Quelque part entre ma solitude et les veillées tardives.

Aujourd’hui, je regarde la route des possibles. Je l’avoue. Je ne croyais pas que la vie était si vaste. Fluide même, capable de se glisser entre les convictions et le quotidien monoparental. Le mondial et les jouets qui traînent. Je savais, ou j’aime croire que je savais, que rien n’est impossible. Pourtant, plus le rêve devient palpable, plus tout me semble irréel.

Et puis tout ce qui me vient en tête ces jours-ci, le goût d'écrire quelque chose de neuf.

Mais pas pour le rêve, pas pour les autres. Juste pour la poésie qui m'appartient.

jeudi 6 octobre 2011

La route du bout du monde

Pour moi, aller vers la mer c’est rouler vers l’ouest. C’est peut-être le plus dérangeant quand on vient au Québec : tout d’un coup le soleil vous a joué un tour. On roule quand même vers la mer, on ne la voit pas mais on sait qu’elle est au bout de la route, et ce très mystérieux rapport – parce qu’on n’y pense pas, on n’imagine même pas que ça ait pu rejoindre votre conscience – entre le moment, la direction et le soleil qui se lève dans votre dos ou se couche dans votre pare-brise, ce qu’on avait intérieurement intégré depuis toujours a basculé : pour aller vers la mer, il faut rouler vers l’est, et pourtant c’est la même mer.
En venant vivre un an au Québec (mais j’ai appris là-bas qu’il existait des noms bien plus anciens pour le désigner comme pays), ce ne sont pas les villes qui ont été la découvert – même si Boston, New York, Toronto et Montréal vous apprennent autrement l’Amérique, parce que c’est en Amérique qu’on vit –, Québec vous apprend d’abord son fleuve, parce que je ne savais pas qu’un fleuve pouvait être ainsi.
Par exemple, ici, en France, avant le partir, ce fleuve avait un nom. Une fois là-bas, je doute d’avoir jamais entendu prononcer ce nom chrétien qu’il porte sur les cartes chrétiennes (je ne me considère pas comme chrétien, je n’ai pas de dieu et déteste tout discours qui s’en revendique). À quoi bon nommer un fleuve, s’il n’y en a qu’un ? On nomme les rivières qui le rejoignent, mais elles se ressemblent toutes, surgissant transparentes d’entre les épinettes : alors elles ont gardé le nom plus ancien, le nom que leur donnaient celles et ceux qui pour l’hiver les remontaient jusqu’au campement de trappe.
Toute une année je n’ai pu me déprendre d’être fasciné par ce fleuve, dans sa manière grise miroitante si le ciel est gris, dans sa manière puissante et sombre et noire si le ciel est au noir, dans son éblouissement tranquille et calme si c’est le printemps continental qui s’installe – on l’a vu dans la glace, on a attendu des traversiers à son bord, là où il respire par des marées, on a remonté son cours dans un bateau affrontant vagues et vents, on a appris où finissait son échange avec la mer, estuaire qui vient finir à plus de mille kilomètres de l’embouchure : qu’est-ce que ça signifie, pour nos petites dimensions d’Europe ?
Et c’est par le fleuve qu’on a découvert la route – la route qui longe le fleuve, l’accompagne. Dans les anciens récits (il ne faut pas remonter loin : par exemple, à quelques dizaines de minutes de voiture de Québec, au bout de l’île d’Orléans, il y a un bouquiniste, et j’ai trouvé toute une suite de livres sur Anticosti), les voyages entre Montréal et Québec, entre Québec et Anticosti se faisaient encore il y a moins de cent ans uniquement par bateaux, le fleuve était à lui-même sa propre route, c’est seulement les camions qui ont inventé la 138.

J’avais eu un avant-goût un an plus tôt, en venant vers Moncton et Halifax. L’avion à hélice qui survole ces étendues sans limite de vert sombre troué de lacs aux formes chacun différentes. Puis les heures de route quand on vous emmène, que la route est toute droite, qu’elle est bordée d’une forêt sans jamais de chemin ni trouée, sinon pour les pylônes et lignes électriques. Je saurai seulement plus tard qu’à la jonction de la forêt et des eaux on peut remonter pour vivre : quand c’est en voiture, la forêt paraît infinie, mais aussi infiniment stérile – à moins de quelques animaux morts, écrasés par les camions, et qui ne sont pas les animaux dont l’Européen est familier.
Ce qui était étrange, entre Moncton et Halifax, c’est d’entendre des façons de prononcer la langue que je retrouvais telles que dans ma Vendée d’enfance. En cinquante ans, nous avons perdu cette façon de rendre les diphtongues qui perdurait depuis cinq cents ans dans nos pays du bord de l’eau, les pays face à l’ouest. Ici, ces parlers continuaient : on me disait que les navigateurs partis de ces lieux miens savaient naviguer seulement à latitude fixe, qu’ils allaient tout droit et s’installaient là. À Baie Saint-Paul, je m’arrêterais souvent à cet endroit où on avait témoignage que Jacques Cartier avait mouillé : paysage d’eau et d’arbres dont il semble qu’en cinq cents ans, comme la langue acadienne à Moncton, rien n’ait changé. Celui-ci avait remonté le fleuve, mais plus avec la même langue : la langue qui se parle à Québec n’est pas celle que je reconnaissais pour mienne à Moncton.
On pourrait faire tenir en France, en la serrant un peu, en diagonale, toute la 138, par exemple en partant tout droit de Menton pour aller jusqu’à Dunkerque. Peut-être même qu’une route inventée, comme ça, qu’on tirerait à la règle sur les cartes, comme on ferait plus tard avec les lignes de train à grande vitesse, passerait comme eux dans très peu de villes, à l’écart de tout, et principalement de Paris, puisque ce qui caractérise d’abord notre pays c’est que tout y est concentré en étoile, depuis la zone urbaine principale qu’est Paris. Mais, dans nos paysages de collines et de bois, à part quelques zones dans le Morvan (si on s’en tient à cette route droite en diagonale qui irait de Menton à Dunkerque), il n’y aurait jamais deux kilomètres sans apercevoir un signe du travail humain, de ce paysage transformé par le travail humain. C’est la violence et la majesté des paysages d’Amérique : la route même, la 138 toute mince et droite, s’y glisse sans les changer, retient ses signes (motels, marchands de SkiDoo, églises et quelques maisons) qui garde ses signes accrochés à elle, pour se pousser plus loin jusque tout au bout où elle s’arrête.
C’était un rêve, d’aller là où elle s’arrête. Au bout d’un an d’Amérique, on a la liste de tous nos rêves, comme ça, nos rêves d’Européens, nos rêves inventés sur les cartes et dans les livres, les rêves qu’on a pas réalisés. Parce qu’une année ça passe vite, parce qu’on n’était pas là-bas en vacances, parce que surtout on n’avait pas compris l’étendue, la spatialité.
Cette première fois qu’on avait loué une voiture, et qu’on y comprenait même rien à la boîte automatique : c’était si simple, sur la carte, de suivre la 138, d’aller là et puis là. Nous sommes d’un pays où passer ses vacances à tel endroit et revenir à un autre, aller au bout de l’ouest à Ouessant et puis revenir, c’est toujours l’affaire d’une nuit au plus. On n’avait pas compris le déploiement de l’échelle.
Voyage pour rien ? Non. On a appris la 138. On a appris un bout, un petit fragment, de la 138. On a appris le fleuve, un bout, un petit fragment du fleuve. On n’a pas appris la forêt ni l’hiver : à Mashteuiatsh, on a appris qu’on ne les savait pas, qu’on ne pourrait savoir. On a appris par le contact direct de celles et ceux qui savaient, et dont on supposait à peine que ce savoir pour nous lié à l’origine de ce rapport de l’homme à son paysage, venait rejoindre le temps contemporain. par d’autres textes comme celui-ci.

Nous n’avons pas été au bout de la 138 : je me souviens avoir photographié un jour, un matin de septembre qu’il pleuvait, cette station d’essence aux Escoumins. Et quelques semaines plus tard, à la fac de Québec, avoir découvert par un texte lu à voix haute que cette même station d’essence était la porte d’un autre pays, bien plus loin, dont je ne saurais rien, mais que j’apprendrais
Nous ne sommes pas allés au bout de la 138, mais nous avons beaucoup roulé sur la 138. Souvenir d’un jour d’hiver, avec une tempête sur Québec au loin, plein ouest puisqu’on revenait, et que soudain le soleil très bas, diffractant à ras des montagnes du nord, avait éclairé par en-dessous, dans une lumière jaune verte de fin du monde, l’étouffement bas des nuages.
Avoir un peu mieux compris l’espace, ce qui nous est concédé d’espace sur la vieille terre ronde, âgée et commune, par la 138. Avoir un peu mieux compris qui on est, les hommes, et ce que chacun de nous porte en soi de l’expérience globale de tous, et du très ancien temps de cette expérience de tous, par la 138 et ceux qu’elle rejoints.



1 François Bon | www.tierslivre.net
2 François Bon | www.tierslivre.net

lundi 12 septembre 2011

Connaître tes mots

Le train est bondé. Les enfants courent sur le passage étroit entre les deux rangées de banquettes qui se font face les unes aux autres. Les plus jeunes sont couchés sur le tissu épais, ils dorment les poings fermés et le souffle doux. Les plus vieux jouent aux cartes sur les tablettes repliables. On entend le rire et les termes familiers de la chasse. Dehors, c’est l’hiver et le vent du Nord déferle sur les arbres enneigés. Dans la chaleur des wagons, on se parle de tout de rien, parce qu’on se connait. J’ai onze ans.

Tu es assis en face de moi. Tu regardes la forêt défiler. Tu es vieux. Peut-être un peu trop pour faire ce long trajet qui dure toute une journée. La brièveté des séjours dans le bois est devenu nécessaire depuis que tes os te font souffrir. Les cheveux blancs, les yeux comme des fentes. La peau brune à cause de la vieillesse. Les rides sur ton visage, des écorchures ou une histoire. À cet instant, tu me parles, marmonnes une langue lointaine. Un léger tremblement aux mains quand tu pointes les bois, les montagnes, Nutshimit la terre du centre. J’ignore ce que tu tentes de me dire. Je comprends à peine tes soupirs et tes yeux embués. Je t’écoute. Je te regarde, les yeux ronds, et difficilement, peu à peu un mur s’abat.

Je voudrais tant savoir tes mots. Les inscrire à jamais dans ma mémoire. Les garder comme on garde la vie à l’intérieur de soi. Comme on garde le courage devant l’incertain. À mon tour, connaître les choses dont tu parles. Même les connaître abstraitement, sans les avoir touché, les voir de tes yeux.

C’est comme si c’était la première fois. D’immenses épinettes encerclées par la neige épaisse. Je remarque le lointain. La ligne d’horizon bleutée. Le lent continuum d’un paysage sauvage, inaltéré. Je sais que tout ceci est parfait. Dans ton esprit éraflé par les années, peut-être tentes-tu de me léguer ta mémoire. Peut-être y-a-t’il un autre chemin derrière cette pureté. Plus rugueux, avec plus d'embûches, plus difficile à préserver de l'ignorance. Peut-être connais-tu l’issu de ce chemin.

Plus tard, ils me diront comme tu étais un grand homme. Un savant. Un érudit de la chasse. Un phénomène dans l’art du tambour. Un arpenteur lorsqu’il s’agissait de reconnaître les droits Innus. Un dictionnaire humain comme ils me diront. À moi, parce que j’aurai voulu, à cause de ces mots incompris, écrire ta vie. Mushum, Grand-Père.

lundi 22 août 2011

La timidité lorsqu'elle se déclanche

Ils disent qu'il faut être soi-même, de la longueur des paroles jusqu'à la justification de ses moindres gestes. Qu'il faut charpenter un soi-même. Le rendre inébranlable. et se sentir à l'abri de tout, de la critique et de tout.

Je sais à peu près ce que j'aime, les balades en voiture, la musique douce, les lettres écrites tout bas et les yeux foncés. Mais si on me propose une marche à pied ou un concert rock, je ne refuserai pas, pas forcément. Parce que je suis timide. Timide d'être moi. Incohérente dans mes envies de danser. Indécente dans ma volonté de ressembler ou de disparaître.

Ils disent qu'on se façonne et qu'on se forge à la lumière du forgeron. Qu'il y a l'âme, qui doucement apparaît. Qu'il y a les autres, qui comme une fraude nous corrompent. Mais qu'il faut devenir. Qu'il faut être cette drôle de bestiole unique, sans pareille. Une belle énormité qui se transcende, un peu partout, un peu n’importe comment.

Il m’arrive, moi, de vouloir être l’autre. La voisine à la voix aigue que l’on entend jacasser d’un bout à l’autre de la rue. Ou la grande fille qui joue à la ballerine sur ses talons aiguille, et qui danse entre un canapé aux crevettes et un verre de rosée. Étourdissante. Ravie.

Quand il m’arrive d’être insatisfaite. Atteinte sur mon droit de la personne. Sur la réalité toute incommode d’être juste moi, alors j’écris. J'écris ce rêve de devenir.

lundi 20 juin 2011

Une brèche et des perches

Les choses, comme les gens, évoluent, au rythme lent des saisons. On délaisse des guerres qui nous corrompent, on adopte une attitude de paix et étrangement les gens que l'on appelait nos ennemis deviennent des êtres avec qui on gagne à partager. Ces l'impression que j'ai lorsque je vois les gens de mon pays se tendre des perches vers le respect mutuelle des différences que les peuples portent comme une fierté, non plus, une entrave. Nous avons cherché trop longtemps à secouer le passé qui nous nuisait, une querelle entre Blancs et Indiens, qui sommes toutes ne correspondaient même plus à l'idée qui l'avait fait germer.

Autrefois, il fallait être conquérant. Cette mentalité fétide de supériorité de races entre humains. Darwin ne nous aura pas aidés sur ce coup-là. C'est cette manière de penser qui a entraîné l'écrasement des peuples, ceux qui se nourrissaient de petits fruits fraîchement cueillis, dormaient sous les tentes et se guérissaient avec des racines arrachés du sol. Ces avec ces mentalités qu'on en vient à enfermer tout une nation dans des réserves aux clôtures hautes et à l'espace restreint. C'est aussi par elles que naissent les enfants dans la misère. L'éloignement jusqu'à l'exclusion la plus totale. Une barrière impénétrable entre peuples d'un même pays. C'est ce passé que l'on ne comprend pas, car aujourd'hui on parle d'égalité, de justice et de droits humains, comme on parle du beau temps.

Je disais des perches. Des Innus assis à la même table que le gouvernement pour parler d'avenir. Une élection fédérale dans laquelle trois députés font partis des Premières Nations. Des excuses officielles du Premier Ministre pour ces drames qu'ont causés les pensionnats Indiens. Et demain, la journée Nationale des Autochtones au Canada, journée établis depuis une quinzaine d'années.

Cette brèche, d’une part et d’autre, peut enfin laisser entrer l’air dans le cloisonnement des réserve et souffler les poussières d’amertume qu’elle l’y a laissé. Je crois, et il se peut que je sois seule à y croire, que l’avenir sera plus doux pour les miens, parce que dans l’immensité de ses forêts, on voit poindre des hommes, des femmes, qui se tiennent droit et qui forceront le vent en leurs faveurs. Car la solution, bien avant tous les programmes gouvernementaux et les campagne de sensibilisation, s'initie au sein même des communautés.

Bonne journée Nationale des Autochtones Innut!

mercredi 8 juin 2011

La résidence

Bientôt, j'irai me loger dans une résidence d'écrivain. Il y a quelques mois, j'ai postulé dans l'espoir de ne pas avoir à travailler cet été, mais plutôt écrire. Tandis que le mois de juillet approche, je sens la nécessité d'observer d'avantage le monde qui m'entoure pour en offrir une image, des mots et peut-être un deuxième livre. Je n'ose pas dire que je cherche l'inspiration. Plutôt le titillement du coeur, le ton juste, la phrase courte qui exprime l'instant.

Sur quoi écrirais-je? Sur moi? Peut-être. Sur les Innus? Sans doute encore un peu. Sur le cloisonnement. Sur la richesse de la terre. Sur le fait d'être appelé maman. Sur les choses belles qui méritent qu'on s'y attarde. Le regard amoureux d'un gars aux cheveux frisés. Les pas insouciants de mon bébé ours. La sobriété. L'égalité.

Écrire. Enfermer dans des mots les choses trop grandes pour être dites tout haut. Hachurer des secrets. Fumer une cigarette. Dormir tard, tant que le café fait effet.

Puis il y a ces quelques pages, peut-être chapitres qu'il faudra remettre à la fin, de bonne foi. Parce que le principal désir de celui qui écrit, quoiqu'en disent les autres, c'est d'être lu.

dimanche 22 mai 2011

Innue, femme humaine

Il y a des questions que je me pose, que je ne posais pas avant. Lorsque des journalistes entrent dans mon quotidien, ils trouvent parfois des choses à interroger. Élevée seule un enfant, aller à l’école et écrire un livre, je l’ai fait sans le savoir. Puis parler de mon peuple, une seule voix, je raconte des choses que je sais. Nous sommes une communauté, bien au-delà du terme. Nous savons tout de l’autre, et personne ne crèvera de faim chez-nous.

Après leur coup de fil, il y ces interrogations qui me restent. Avoir si vaillamment parlé des miens, je tente de comprendre en moi-même, ce que signifie être Innue, femme du peuple nomade. Je sais que ma grand-mère ne s’est jamais posée la question, car elle l’habitait cette culture ancienne, elle l’incarnait. Se poser la question, c’est mettre une distance, déjà. Lui poser la question, s’aurait été un affront à sa dignité, elle qui créait de ses mains habiles toute la beauté de ce que nous savons aujourd’hui, de ce qui reste.

Cette question elle me pèse, elle m’obsède. Être Innue?

Autrefois, ça devait être incroyable. La lourdeur sur les épaules. Traverser chaque mille à pied. Ne pas se plaindre. Chaque montagne comme la première. Observer l’enfant sautiller sur des flaques. C’est un monde que je ne connais pas. J’aurais voulu qu’on m’en parle. Sans complainte. J’aurais voulu savoir comment ma grand-mère accouchait de ses bébés.

Parce que je peux me fondre dans une culture qui n’est pas la mienne. Y trouver ma place, comme une autre. Me résoudre à n’être qu’une étincelle de moi, une brindille qui brûle et qui s’éteint par manque de foi. Je sais.

Être Innue. Je veux savoir comment. Au-delà des siècles et des dictatures et dominations, il y a un peuple, bien d’autres, qui ne cessent de se répandre.

Je ne sais pas ce que c’est que d’être Innue aujourd’hui. Je parle en tant que femme, je parle en tant que mère, je parle en tant que descendante des Premiers habitants. Ce que je sais, c’est l’émotion ancrée, presque enfouie dans le souffle, lorsque j’observe même distraitement une femme dépecer un caribou. Ou bien enlever toutes les aiguilles d’un porc-épic, pour qu’ailleurs on puisse le manger, pour que la table sois mise. Lorsqu’il fait automne et les feuilles ramollissent, il y a dans leurs gestes une vaillance que je ne saurais écrire. Dans leurs repas, une vigueur contrôlée. Ce sont elles qui nous ont élevés, nourris, puis rassasiés, elles ont été le témoin de nos querelles. Ces mères, vieilles de cent ans. Ces mères toutes jeunes, à peine pubères.

Être Innue? Femme humain, puisque Innu désigne aussi bien mon peuple que l’humain. Être Innue, dans un monde qui tend au multiculturalisme, au mondial. Innue, parce qu’il y aura plus tard des enfants qui nous parleront dans cette langue qui subsiste. Être Innue, parce que ne pas l’être c’est éteindre le feu qui brûle.

Je sais que je suis porteuse de quelque chose de plus grand que moi. Je veux le découvrir.

lundi 16 mai 2011

ailleurs

Petite, je croyais appartenir à un monde bien différent. Je ne savais pas le mépris. J’ignorais la condescendance. Même la justesse de ces mots. Même l’indifférence qu’apporte ce statut d'indienne. Je ne savais pas, mais je voulais être quelqu’un d’autre. Dans la même blancheur. Parce que le monde est petit, et je suis toute idiote de rêver d’un monde grand, dans lequel chacun saurait ce qu’il est. Dans lequel chacun aimerait ce qu’il est.

lundi 9 mai 2011

Lancement de Kuessipan à Uashat

Il y a quelques jours à peine, je me tenais debout devant une centaine de personnes. Quelques jours à peine, je leurs disais combien j’étais heureuse d’être parmi eux, parmi les miens, remerciant les uns et les autres, les proches et les visiteurs, d’être venus célébrer avec moi le lancement de mon premier livre. C’était l’ivresse d’un moment que je n’avais jamais encore vécu. Le cœur chaud et la main moite, je souriais. Une peur enfin disparue. Mon peuple affirmait que je disais.

Cette chose que je ne peux nommer, leur sourire et leur fierté, je l’ai vu ce soir-là, alors que je récitais le discours appris par cœur. Les regards que je croisais. Les visages que je reconnaissais. J’ai compris que j’étais la messagère d’une réalité beaucoup plus grande que moi. Ils étaient si nombreux, à demander que je dédicace leur livre, tout fraîchement acheté, bientôt lu. Même dans mes rêves. Même l’imaginaire n’aurait pas fait mieux.

Chez-moi c’est comme ailleurs. Je suis la fille d’une telle. Je le resterai toute ma vie. Mais cette étincelle dans leur regard. Cette joie dans leur sourire. Ma famille. Mes amis. Je ne veux jamais l’oublier. Aussi fraîchement que la fleur déracinée, lucide comme la pluie rencontre le sol. Ce soir-là, il pleuvait, mais y avait de la chaleur et de la lumière à l’intérieur.

Le seul que je n’ai pas pu remercier, c’est François Bon. Je me permets de le faire ici, parce que je sais qu’il lira. S’il suffit de croire en quelque chose pour qu’elle existe, bien je vous dois énormément. Merci d’avoir cru que ceci valait la peine. Car j’ai vu les visages et je sais que ça vaut la peine.

Iame Unepessish, à bientôt.

mardi 29 mars 2011

De l'intérieur

Il arrive quelquefois, venus d'ailleurs, des visiteurs fantasques qui au lieu de ballades sur les merveilleuses plages de la Côte, décident d'entrer de plein gré dans une réserve. Ils restent quelques heures, font de courtes rencontres, observent et notent intérieurement les différences. Mais ce qui n'arrive pratiquement jamais, c'est qu'ils choisissent de rester, de s'attacher, de partager. Pratiquement, parce qu'il y a elle, madame la psychologue.

Elle parle Innu, simple dans ses manières, elle vit à Maliotenam, épouse de Putu, d'où le surnom Putushkueu, mère d'enfants métis. Elle est psychologue, travaille depuis de nombreuses années au dispensaire de Uashat. Elle a tout vu, tout entendu. Lorsque l'hiver devient doux, elle part rejoindre la rivière, monter sa tente. Il y a longtemps qu'on ne l'appelle plus Kakussesheshkueu (la femme blanche).

Je vous parle d'elle car elle m'a écrit hier. Simplement pour me dire son appréciation de mon livre Kuessipan. Ça ma touché, comme ça me touche toujours de voir quelqu'un a lu et a aimé par l'entremise de quelques pages, les visages de mon peuple. Cependant, que ça viennent ainsi de l'intérieur. D'une femme qui sait. D'une femme qui partage par choix la culture innue et tout ce que cela implique. C'est à mon tour de dire merci.

"Il fait toujours noir quand le train revient" Rien que cela et j'ai compris que tu avais tout cerné , tout ressenti. J'ai bien connu celui-là qui a acquis la connaissance de tout un peuple" ainsi que celle que le bonheur " avait finalement coincée". J'ai lu et relu avec le coeur la première fois, et mon âge de raison la deuxième fois. Un grand cadeau que tu nous offre et je veux t'en remercier. J'en suis encore toute émue. J'en parle à ceux qui m'entourent et je refuse de leur prêter, je veux qu'ils aillent se l'acheter!
Je salue ton talent d'écrivain . Un style très personnel et éclatant.

Tu as raison, personne ne" veut lire des mots comme drogue,inceste,..."
Un grand merci donc pour avoir su décrire " le ciel d'un doux mauve qui crie au loup"
Danielle Descent ( Putushskueu comme ils disent)...

mardi 15 mars 2011

Kuessipan- À nous

Très enthousiaste de la publication papier de mon tout premier livre, je me suis promenée aujourd'hui de librairie en librairie pour me faire dire qu'il ne sera disponible que demain (tout de même disponible sur publie.net ;). Je ne l'ai toujours pas touché de mes mains, cet inclassable bouquin: poésie ou nouvelle? Je ne sais pas. Je me suis jamais posé la question en l'écrivant. Me disant tout bonnement que votre fil de l'entendement saurait mieux le classer que ma propre émotion littéraire.

Il s'appelle Kuessipan. C'est-à-dire: à toi. Le parfait reflet de l'intransigeance du message. On ne discute pas avec la réalité. On la décrit. On l'écrit. Parce qu'on la vit. Kuessipan, veut aussi dire: à mon tour, à notre tour,de prendre partie, de se réaliser, d'être. Kuessipan pour les chasseurs: la parfaite réponse de l'autre qui au bout de la radio satellite lance Kuessipan quand il finit de parler.(over ou dix-trente, d'après les régions). Seulement pour entendre la réponse. Seulement, pour continuer les paroles.

Mais Kuessipan, surtout une envie de dialogue, de se comprendre mieux, de laisser derrière tous les vieux préjugés. Nous sommes un peuple qui partage les mêmes ambitions de richesses, de beauté et d’ardeur. Nous sommes là. Et vous êtes là. Le monde n'a de limite que la raideur de nos persuations.

Kuessipan. C'est à vous.

dimanche 6 mars 2011

Nuta, mon père

Ma grand-mère m'écrit sur facebook. De courts messages bourrés de fautes et d'amour. Aujourd'hui, elle m'écrit pour me dire que c'est l'anniversaire de mon père. Il paraît qu'il aurait eu 46 ans. Elle me dit qu'il lui manque un peu à chaque jour et que ses pensées en cette journée triste volent une par une vers le ciel. Je n'ai rien dans mes souvenirs qui pourrait me rappeler cet homme à la peau foncée, à la beauté racée. Rien qui pourrait s'envoler haut, très haut vers le ciel. Mis à part ceci.

C'est une photo que je garde avec toutes les autres. Une image de lui en habit d'hiver couleur kaki. Il porte sur son dos une carabine. Sur sa tête, une casquette qui rappelle l'uniforme de l'armée. N'a jamais été soldat, ni tireur d'élite. Juste chasseur, dans les meilleurs moments de sa vie. Un genou plié et à sa main, un lynx. Le sang qui tache la neige lui donne victoire. Des épinettes entourent la mémorable prise de l'homme. Il semble mal à l'aise, fixe la caméra. Des yeux bruns, les lèvres pincés, le nez droit, de minuscules tâches de rousseurs sur ses joues. Il est beau. Une vingtaine d'années, pas plus.

C'est une photo surnaturelle. La mort ne ressemble à rien, sinon à une image vide de souvenirs. Il n'est mort que pour ceux qui l'ont connu. Pour les autres, il est soit un chasseur, soit un nouveau marié. Ces quelques clichés que je garde avec toutes les autres.

Iame Nuta.

jeudi 17 février 2011

Pourquoi j'aime Félix

Je l'ai lu pour la première fois il y a quelques années, Adagio de Félix Leclerc. Un recueil de nouvelles que l'on dévore d'un bout à l'autre. Des scènes de campagne, de terre labourée, du désastre que cause le feu et de l'amitié concrète entre habitants d'un même pays. Le pays, tel que Félix le concevait. Un peuple pauvre mais fort. Une territoire rigoureux mais riche. La fierté comme idéologie à une époque où " il faisait gris, presque brun."

Je l'ai relu dernièrement. Et je l'ai aimé davantage si c'est possible. Un poète qui parle de son chez-lui, comme on parle de sa chérie. "Son église, un matin de novembre froid et plein de lumière. Il avait neigé la nuit. L'air était pur, les routes, blanches." Cette terre qu'il dépeint, ces visages, ces vies, c'était il y a longtemps. L'amoureux fou de la belle Marie et le violoniste aux rhumatismes. Ça ne s'invente pas.

J'aime Félix. Comme j'aime les traditions, les convictions, les imperfections, l'espace, l'hiver. J'aime Félix parce qu'il raconte une collectivité. L'histoire des autres, des siens. Des vérités sordides qui nécessitent l'apport d'une belle poésie.

Mais j'aime Félix pour une autre raison. S'il vivait encore je me dis que nous nous serions bien entendus,avec au coeur le même combat d'exister. Nous aurions parler de changements, de peuple, de pays à nos risques et périls. Il a inspiré énormément d'artistes Québécois, et Innu, et autres petites gens qui en dehors de l'individualité, ont voulu croire en la race.

jeudi 10 février 2011

Dilemme

J'aimerais vous parlez de la pièce de théâtre que j'ai vue hier. Vous dire pourquoi le génie humain me touche lorsqu'il me surprend, assise sur la dernière rangée du fond alors qu'une vieille dame se permet des soupires de rire entre deux coup d’œil dans ses jumelles de luxe. J’ai hâte d’avoir son âge. J’aimerais encenser la pièce jusqu’à la rendre intouchable, pas seulement parce que le berceau de son auteur est Québec, mais parce qu’il arrive a rendre le regard des gens normaux spectaculaire, presque magique.

Mais ce n’est pas ça. Hier, j’ai lu aussi. Un journal sur le coin d’un bureau à la radio communautaire où je travaille. Un article sur le Grand Nord Québécois. S’avez, le Grand Nord n’est pas aussi loin qu’on s’imagine. C’est juste isolé. L’article débutait avec l’énumération des nombreux problèmes sociaux des communautés Inuites. Un paragraphe pour faire le tour. Suffit de mettre les mots qui comptent : alcoolisme, pénurie de logements, suicide, pauvreté. Ces réalités qui ne nécessitent aucun superlatif.

Mais ce n’est pas ça. L’article parlait d’un fléau plus récent. Récent ou très ancien. Depuis quelques années, la tuberculose est en hausse dans les foyers trop étroits, mal aérés, surpeuplés des habitants du Nord. Cette maladie aux allures d’une grippe, mais qui affecte le corps avec beaucoup plus de violence et s’installe en lui avec des odeurs de morts. Toute la journée j’ai imaginé une cabane en bois habités par des toussotements. Un crachat de sang dans un mouchoir et un paysage de neige pour voisinage. Le tiers monde existe au Québec. Il est isolé, mais pas si loin.

Ressasser l’article toute la journée, jusqu’à huit heure moins quart. Quelques minutes avant le début de la pièce. La vieille femme toussote, l’homme avec elle est galant. Les lumières s’éteignent. Et tout le génie créateur de Robert Lepage apparaît, petit à petit. Un sourire sur mes lèvres. Je partage l’humeur rieuse de ma voisine. Le destin de deux frères, leurs différences, la rivalité et la face cachée des choses humaines. L’éblouissement certain d’un homme qui s’envole.

Aujourd’hui, prise dans le dilemme de décrire la beauté ou le désastre.

jeudi 13 janvier 2011

La tente

C'est la pluie qui m'a réveillé ce matin là. Des milliers de gouttes d'eau se fracassant sur la toile bleue, imperméable. Il faisait gris, ça ne pouvait être la clarté du soleil. L'odeur des branches de sapin qui tapissent le sol. Des murs beiges, souples qui forment un parfait triangle au-dessus de la tête. La fraîcheur vite combattue par le feu dans le poêle posé sur quelques briques, par précaution. Fermer les yeux, même éveillée, pour ne rien perdre de la réalité, de ce maintenant. Respirer aussi fort que possible cet air tantôt chaud, tantôt froid. Le respirer d'aussi loin que le peuple se rappelle.

La tente, un abri de fortune, un héritage, le choix du nomade, le répit après une longue marche, le plus paisible des sommeil, une toile posée sur des baguettes de bois.