mercredi 7 mars 2012

Le blocus 138: beau à voir

Je sais, je suis partisane. Mon parti c'est ma communauté. Ce qu'ils revendiquent, je l'appuie. Parce que même si je suis loin, pas debout devant les barricades, je trouve ça beau. Je trouve ça important de voir ces hommes plus ou moins vieux, se tenir droit et dire :Aujourd'hui, vous ne passerez pas sur nos terres.

Il y a eu une première entente avec Hydro-Québec afin que la société d'État puisse construire des pylônes électriques, sur les terres du Nitassinan en lien avec les nouveaux barrages hydroélectriques de la Romaine, une entente qui n'a pas été signée, jugée insuffisante. Il y a eu une deuxième entente, bonifiée comme ils disent. La communauté à voter contre cette entente majoritairement à 59%. Ils ont trouvé que c'était encore trop peu. Pas tous. Mais la majorité. La démocratie parle pour ceux qui prennent les choses à coeur et se lèvent pour signifier leur choix.

Il s’agissait d’une entente de 150 millions de dollars avec des promesses de redevances. J’ai souvent cru que les pauvres étaient faciles à acheter. Je ne me suis jamais aussi bien trompée. Même les pauvres ont leurs convictions.

Ils ont choisi de bloquer la route. Parce que Hydro-Québec ne respecte pas le refus de la communauté et a commencé les travaux sur les terres du Nitassinan.

Aujourd’hui, s’il vous vient l’envie de passer sur la 138, quelques kilomètres après Sept-îles, à l’intersection de Maliotenam, vous verrez des hommes et quelques femmes, une tente, un feu, sur la route. Des pancartes qui vous obligeront à ralentir. Ils vous laisseront passer après vous avoir demandé où vous allez, ce que vous comptez faire. Si vous travaillez pour le gouvernement, vous aurez du mal à continuer votre chemin. Si vous êtes camionneur, ils vous diront qu’il est impossible que vous passiez. Si vous êtes en voyage seul ou en famille, ils vous laisseront continuer.

Revendiquer peut sembler difficile. Voir inopportun. Mais lorsque certains le font, passivement, en créant un certain débrayage, lorsque ceux qui parlent savent exactement l’issue de leur monopolisation. Lorsque rester silencieux devient impossible. Je l’ai dit, c’est beau à voir.

Cadeau de M. Lafferière

Vous connaissez Dany Laferrière, l'écrivain. Il a écrit ceci pour un catalogue. Je vous le partage.

"Mon coup de cœur
C’est toujours émouvant de voir un fleuve à sa source. Le Nil débute comme un ruisseau. Il faut beaucoup d’imagination pour croire que ce filet d’eau tient dans ses bras toute l’Égypte. Il en est de même pour la littérature. On peut choisir de remonter l’interminable fleuve Proust. Ou de traverser à gué le ruisseau Naomi Fontaine. Qui est cette Naomi Fontaine dont le nom se retrouve si près de Proust avec un mince premier roman? Elle a 23 ans, c’est une Innue de Uashat qui vit aujourd’hui à Québec. Elle a publié cette année « Kuessipan » qui fait à peine 111 pages, chez Mémoire d’encrier. Dans ce ruisseau il y a la promesse d’un fleuve. Vigneault dit bien qu’un flocon contient l’hiver. En effet, il s’agit beaucoup d’hiver dans cette réserve d’Uashat où la vie est rude. Les problèmes sont connus : « drogue, inceste, alcool, solitude, suicide, chèque en bois, viol ». L’auteur nous balance tout ça dès la première page, juste avant de nous faire pénétrer dans son univers personnel. Ce n’est pas l’étude sociologique d’un étranger tout plein de compassion. C’est une invitation à une fête étrange : le simple déroulement de la vie quotidienne. La peinture est si directe qu’elle semble naïve jusqu’à ce qu’on comprenne qu’elle suit plutôt la vieille règle classique de la ligne droite. Des observations dures. Des joies violentes. Une nature rêche. Pas d’adjectif. Ni de larmes. C’est le livre d’un archer qui n’a pas besoin de regarder la cible pour l’atteindre en plein cœur. Mon cœur. "
Dany Laferrière

Merci M. Laferrière. Le fleuve se nourrit par petites gouttes. Merci de m'y inviter.