jeudi 28 mars 2013

Se lever à l'aube

Quand on regarde au loin, ce sont les montagnes qui se succèdent. Verdoyantes, immenses, infranchissables. Quand on regarde plus loin, c'est la mer qui s'offre. En milliers de vagues, puissantes, invitantes. Si on baisse le regard, entre les rues dépourvues de Port-au-Prince, une femme vend des produits de beauté entassés dans une bassine, sous un parasol rouge, pour cacher sa peau du soleil. Elle est citadine. Si elle était paysanne, elle ne se lèverait pas à l'aube pour étaler sa marchandise sur les rues poussiéreuses de la ville. Elle se lèverait pour cuire le riz. Elle se lèverait pour allez cueillir des fruits. Elle se lèverait à l'aube. Citadine ou paysanne. Du Nord ou du Sud. De la montagne ou de la mer. Haïti, m'a déstabilisée. Impatiemment, fiévreusement, d'une manière aussi intense qu'ont été les quelques jours que j'y ai passé. De Port-au-Prince au Cap haïtien, jusqu'à la Citadelle et sur la route du retour. J'ai observé. Avec mes yeux d'indienne, avec l'esprit libre. J'y ai fait des rencontres. Improbables, riches. Il y a eu Stevenson. Un violoniste, maître de chant, enseignant, animateur télé. Gentil et gentleman, qui m'a fait danser sur des airs de tambour et de percussions, une danse très douce. Il y a eu Patrick, le gars du son. Qui m'a raconté comment Haïti s'était libérée de l'esclavage, bien avant la guerre civile plus au Nord. Il y a eu Soeur Marie, une femme du pays, enseignante dans une école de filles, et nous avons parlé de ce dont parlent tous les enseignants, les difficultés des élèves, la passion qui est la nôtre, la confiance à gagner beaucoup plus grande que le respect. Derrière sa robe bleue et son voile, j'ai compris qu'elle tentait elle aussi de comprendre son monde. Il y a eu le poète et peintre, Frankétienne. Le vieil homme à la peau pâle. Des yeux bleus qui vous fixent et des mots qui vous enivrent. Il m'a dit que le plus important était ma passion. Il m'a dit: Rappelle-toi, ne laisse personne te voler ce que tu as. Le lendemain, je retournais dans ma ville. Je ne sais plus à quel moment je suis devenue nostalgique, à quel moment l’idée d’écrire un poème passionné sur l’Haïti chérie m’est passée furtivement par la tête. Certainement, ce n’est pas un hasard qu’Haïti soit le nid de tant d’artistes. Il existe un sentiment impatient de décrire la vie, qu’elle soit poussiéreuse ou d’un bleu turquoise. Dans mon départ, je lisais Gary Victor, et plus l’avion m’emportait loin de l’île, plus les mots m'imprégnaient de ce pays. Des mots droits et justes, semblables aux gens que j'ai connus, fiers et indélébiles.