mardi 28 octobre 2014

Neka

Les autres, ils me disent, que c’est parce que nous sommes semblables, qu’il est si difficile de s’atteindre.

Il est impossible d’imaginer ma mère sans sa foi. J’ai appris très jeune ce qu’était la foi. Croire en quelque chose que l’on ne voit pas. Nous étions petits, nous la suivions dans cette église qui ressemblait davantage à une salle communautaire qu’à un lieu sacré, sans clocher, sans statues. Une bâtisse récente, voisin d’une salle de quilles. De petites fenêtres sur les côtés, sans vitraux. Une grande porte en bois, tout de même, pour accueillir les croyants, ceux qui se pointaient le dimanche avec leurs beaux habits et une bible à la main.

Beaucoup de souvenirs débordent de ces portes. Les gens chantaient en tapant des mains, très souriant. Ils s’agenouillaient, ils imploraient. Ils levaient les mains au ciel et parfois, tant ils étaient émus, ils pleuraient.

Le fait de s’avouer de confession protestante avait été tout un scandale dans la famille, dans la réserve. Depuis la colonisation, les pensionnats, il n’y en avait que pour la religion catholique. Parce qu’ils étaient des êtres spirituels, qu’ils croyaient au-delà de ce qu’ils percevaient, les Innus ne se rebutèrent pas contre le catholicisme à l’époque. Dans la misère des famines et des hivers arides, quand ils s’exténuaient à combattre la forêt, ils avaient accepté qu’une puissance supérieure existait. Elle fut la première à se rebeller, ma mère. La première à ne pas faire baptiser ses enfants. La première à s’exclure des premières communions, des neuvaines, des prières au chapelet. Elle n’avait même pas vingt ans. On ne l’a pas torturée, pas physiquement du moins.  

Il existe un mot innu pour les protestants depuis ma mère. On les appelle :kamataueimat, ceux qui prient de manière étrange.  Une insulte, de la part d’un peuple très pieux.

Pour moi c’est la preuve évidente, que ma mère et moi sommes de la même étoffe. Foncer et nier l’adversité. S’affirmer. Être différente, ne pas s’en préoccuper. Souffrir, pleurer, être seule, en exil, mais ne pas, ne jamais baisser les bras parce que ce chemin est le seul qui peut nous sauver. Je ne peux pas parler d’elle sans parler de son audace. 

La foi je l’ai. Croire plus loin que ce que mes yeux peuvent voir. Surtout lorsque je suis triste, surtout lorsque je suis dépourvue, surtout lorsque je ne comprends pas cette vie injuste et cruelle, qui épargne les criminels et méprise les mères tranquilles. Je crois qu’il y a plus grand que cette vie, et si j’ai tords, si tout ce qui existe est perceptible, au moins toute ma vie durant, j’aurai eu l’espoir.

Je me suis souvent posée la question. Pourquoi partir si loin, lorsque tout ce qui nous appartenait se retrouvait à Uashat. Surtout au secondaire. Elle m’avait introduite dans une école privée, l’une des plus prestigieuses de la ville,  parce que je cumulais de bonnes notes au primaire, mais personne ne m’avait préparée à ce milieu. 

Les pères de mes amis étaient des avocats, des professeurs, des présidents de compagnie. Le mien, il était mort bêtement d’un accident d’auto. Je n’étais pas à leur hauteur. Leur mère s’occupaient de la maison, de leurs études. Je les imaginais comme des femmes très soignées qui attendaient les visiteurs, buvant une tasse de thé chaud dans leur salon. Elles cuisinaient du requin sauce tartare au souper. Elles pliaient le linge propre. Ces femmes-là, elles ne s’éclaffaient pas, elles joignaient les genoux lorsqu’elles s’assoyaient. Je n’étais pas de cette lignée. Nous mangions du pâté chinois et des macaronis à la viande. Le vendredi, c’était la soirée fast-food. Le dimanche, le meilleur repas de la semaine, du poulet rôti  ou des steaks avec des patates pillées. Toujours, il y avait un dessert sucré.  Tout ce temps, entre les repas et l’organisation pittoresque d’une famille de cinq enfants, elle étudiait. Je la voyais, le soir, après le souper servi, sur cette immense table de cuisine qui lui servait de bureau, lire et relire ses notes de cours. Fermer les yeux, les réciter par cœur. Le par cœur aujourd’hui, je sais, ne donne rien. Du coup, je trouve encore plus triste cette réalité monoparentale. Comme un supplice, une dureté. Il est impossible de parler de ma mère sans parler de sa force.


mercredi 25 juin 2014

Le filet


Au crépuscule, des pick-up passent lentement sur la petite route de sable qui mène à l'embouchure de la rivière. Ils sont deux par voiture. Ils arrêtent un peu avant la pointe. L'un porte une brique, l'autre un bac gris. Une heure avant la marée haute, ils installent au large un filet de cent pieds. Sur la rive de cette immense rivière, ils attendront jusqu'à l'aube, que le saumon manifeste sa présence par des battements de queue agitées. 

On est assis sur un énorme tronc d'arbre sec. Lui est arrivé depuis quelques heures. Moi je trimbale une caisse de bières. C'est le fait d'être tout près de lui qui me charme, puis le calme, les petites vagues qui roulent à quelques mètres de nos pieds, la nuit noire, sa façon de regarder l'horizon et ses réponses à mes questions sur la légalité des filets. Depuis le début de la saison, il me dit que tous les soirs il est venu à cet endroit. Que les matins il était en canot plus haut sur la rivière, pêchant à la canne. Pour deux saumons. Il me dit que c'est plutôt difficile cet été. L'an passé, en une soirée, il en avait pêché cinq. Je l'ai rarement vu aussi détendu. Je sens qu'il est heureux. Il prend ma main. M'embrasse sur le cou. Je ferme les yeux. Je sens tout à coup que des mots stupides veulent sortir de ma bouche. On est assis, à ne rien faire qu'attendre. Je lui en veux un peu de ne pas m'avoir amenée ici plus tôt. 

Je repars comme je suis venue, seule. Il restera encore une heure ou deux, surveillera son filet. Il ira dormir dans son chalet. Et demain, il recommencera. La saison du saumon tire à sa fin.




jeudi 19 juin 2014

Pour vous, mes élèves

J’aimerais vous souhaiter la réussite. Mais je ne vois pas la réussite comme un objectif. La vie est faite de petites, de millions de réussites. Arriver à l’heure, passer une dictée, augmenter une moyenne. Amener son enfant à la piscine, rester à la maison un vendredi soir, arrêter de fumer une journée de plus. Je ne crois pas en la réussite, je crois aux efforts, au travail. Et puis les échecs nous apprennent nos faiblesses, ils nous apprennent l’humilité.  

Alors, quoi vous souhaiter? Je ne peux pas non plus vous souhaiter l’amour. L’amour est un geste, un mot, un sourire. Il nous vient de quelqu’un d’autre. Il suffit de capter l’amour lorsqu’il passe. Une femme que j’admire m’a dit qu’il fallait prendre l’amour comme on nous le donne. Puis l’amour commence par soi. Se savoir important, unique. Pas parfait, mais être soi-même et être bien.

Je pourrais vous souhaiter d’être heureux. Mais une fois de plus, ça ne voudrait pas dire grand-chose. Je ne connais pas une personne qui ne pleure pas lorsque le malheur lui tombe dessus. Le bonheur ne devrait pas être une complaisance en la vie, comme on se l’imagine souvent, mais plutôt une foi en la vie, en ce qu’elle nous réserve. La vie, mes amis, est souvent injuste. Alors, il faut se battre et croire en elle plus que jamais.


La seule chose que je vous souhaite, de tout mon cœur, c’est de rêver. De rêver de choses extravagantes, de choses incroyables. De l’impossible. Seuls, dans votre tête. De rêver de faire partie de la NHL, de devenir premier ministre, d’assister aux Oscars. De rêver de vivre, de bâtir une maison, de tomber amoureux, de devenir papa. De continuer à rêver, même devenus vieux. Le chemin vers la réussite, vers l’amour et le bonheur, commence par le rêve. N’oubliez jamais que le monde est plus vaste que ce que l’on peut imaginer. Ne cessez jamais de rêver. 

Votre enseignante, Naomi

vendredi 6 juin 2014

Pleurer dans ma tête

La proximité dans une réserve crée une opacité entre les gens. Vous ne pouvez être que vous-mêmes, que lorsque vous agissez comme les autres. Sinon, vous êtes soit faible, soit mauvaise.  Peu de gens le comprennent.

J'ai la larme facile, ces jours-ci.
Je ne pleure pas mais c'est comme si.
Je ne pleure pas, parce que je fabule.
Je suis écrivain, mon monde je peux le créer, comme je l'entends, avec des fins heureuses et des rencontres joyeuses.

Ce soir j'ai pleuré, et cet aveux en est un de culpabilité.

Je ne pleurais pas avant.

J'ai pleuré sur moi-même ou sur cette façade que j'essaie si fortement de garder solide.

J'aimerais arrêter de pleurer, seulement quelques secondes, seulement pleurer dans ma tête,
Je voudrais ne plus être celle qui est moi, je voudrais être insignifiante,
Et que les gens autour, parlent autour, sans moi

La réserve n'est pas un lieu

vendredi 11 avril 2014

Faire l'indienne

Rappelle moi que je vis,
dans ces personnages fictifs que le beau monde se raconte en se flattant,
en arrachant  la dernière plume de mes fesses
dans ces chiffres statistiques, qui me font rechuter, qui me font me morfondre,
dans la nuit noire, noire
si tu es celui que tu dis être,
rappelle moi que j'existe
que je peux être magnifique,
pas à cause de ma peau brune et de mes yeux noirs,
parce que je reste sauvage, même instruite,
ne me peins pas dans un tableau, ne me garde pas dans un livre,
rappelle-moi que je vis.

moi ta bohème, ta suave, ta grandeur lorsque tu écris,
ta faiblesse lorsque tu pleures,
dis-moi que le monde est immense et pénétrable
dis-moi que je suis trop petite
je te croirai

Rappelle-moi que j'existe,
une fois les caméras éteintes,
lorsque les gens parlent de moi, lorsqu'ils disent l'indienne.
Souviens-toi que je me suis assise sur cette chaise
Qu'à toutes tes questions j'ai répondu
Je n'ai jamais joué à l'indienne
Je te le jure
Ces racines, elles me pénètrent jusqu'au fond de ma propre douleur.

Dis-moi, je t'en prie, une fois encore, que j'existe.

mardi 18 février 2014

Enseigner

Je crois que c'était durant un de mes cours tranquilles. Ces moments de répit. Dans lesquels je corrige, tandis que mes élèves répondent aux questions du test de lecture. En silence. Ils se courbent sur leur bureau, cherchent dans leur roman, écrivent minutieusement sur les quelques lignes des réponses plus ou moins exactes. Je leur ai dit qu’il fallait  toujours essayer. Ce n'était certainement pas durant une période d'exercices, là où je fais continuellement le tour de la classe pour répondre aux questions de S, pour m'assurer que P travaille, dans lesquels je répète constamment combien les exercices sont importants, que c'est en les faisant qu'ils comprendront les contenus, qu'ils pourront évaluer leurs compétences à faire les examens, plus tard. Non. Ce n'était pas un cours comme ça. C'était peut-être un de ces cours, dans lesquels on lit ensemble un texte, on essaie de comprendre le texte, on définit chaque terme compliqué, on cherche à faire sens avec les choses que l'on sait. Dans ces cours où « on », exclut tout le monde sauf celle qui parle.

Ce devait être durant une fin d’étape, comme aujourd’hui. Lorsque je sais que j’ai donné les outils importants. Toute la motivation, dans mes « tout le monde peut réussir », « il faut réussir », « même toi Marc, j’ai confiance. », avec un sourire en coin. Toute mon énergie répartie sur une dizaine de semaines pour en arriver là. Les regarder s’enfoncer dans leur pensée, dans leur savoir, et tenter comme petite enseignante en début de carrière, de leur faire confiance.


C’est là, je crois, que j’ai commencé à respirer. 

samedi 4 janvier 2014

Revenir

Revenir est la fatalité. Dans ce tout petit village, dans cette nature épineuse, sablonneuse, imaginée de toutes pièces depuis mon enfance,  immuable souvenir.

J’avais sept ans. Petite fille brune parmi tous ces visages blanc, ces yeux pâles, bleus ou verts, ces cheveux blonds ou dorés. Étrangère. Nouvelle venue. Différente. Ne pas se sentir chez-soi. 

Quitter ma maison beige aux poutres brun foncé, c’était tout quitter. Le tout peut sembler insignifiant lorsque l'on ne possède presque rien. Un lit en fer blanc et une couverture à motifs de feuilles beiges et blanches. Une maison de poupée, une salle de jeux immense au sous-sol. Passer tout l’hiver aux joues rouges de froid, tout l’été à la peau aussi brune que celle des enfants du Sud. Peut-être un jour je reviendrais sur le bord de cette baie, embrasser ma tante et jouer dans ma chambre.

Dans ma rue, je me fondais à la masse, moi la petite fille tranquille. Je pleurais si peu bébé, que ma mère bousculait mon sommeil s’assurant de mon respire. Je pleurais si peu enfant que ma mère m’avait oubliée sur les marches de l’escalier. Plus tard, l’étrange justice de la vie a rattrapé chacune de ces larmes

L’exil pour moi se trouve à huit heures en voiture et il a la peau pâle. Il avait fallu à ma mère deux jours pour faire la route, cette distance que je ne pouvais calculer que par le nombre de villages à traverser. J’ai fini par les apprendre par cœur. Et les arrêts, et les étapes. Suivre le rythme et avancer à la limite permise. J’ignore si ailleurs le monde a changé. Ce que je sais, c’est cette courbe mortelle qu’ils ont finalement traversée d’une route droite, à Saint-Siméon. C’est l’absence perpétuelle d’un pont entre Baie-Sainte-Catherine et Tadoussac, le nid de cette rivière devenue aussi profonde que la mer. C’est cette toute petite paroisse dont j’oublie déjà le nom, qui fermera bientôt ses portes, parce que la 138, désormais la contourne.


Ils disent que le retour est le chemin des exilés. Qu’il existe dans la patience d’un homme un aboutissement à s’être mis à part quelque temps. Je n’ai pas choisi de partir. Vingt ans plus tard, je reviens et constate que les choses ont changées.